Les fins d’année se répètent et se ressemblent. Elles sont différentes à l’école élémentaire et au collège.
À l’école, les fins d’années vont crescendo. Fêtes d’école et autres kermesses, spectacles, costumes, gâteaux, sorties de fin d’années : les activités battent son plein jusqu’au gong final. Les protagonistes s’arrêtant alors net, le souffle court. Au collège, c’est la déconfiture. Plus l’on s’approche des vacances, plus les emplois du temps filent en lambeaux. Le Brevet des collèges, les tournois inter-classes en E.P.S., les goûters et visionnages de films pendant les cours, le ramassage des manuels, tout cela provoque une désorganisation qui rend les fins d’année quelque peu interminables, dans une ambiance de flou et de gentil relâchement. La fin d’année arrive sans qu’on s’en aperçoive vraiment dans ce début de torpeur estivale . Si le mercure grimpe, cela ne fait qu’accentuer le phénomène.
Je n’aime pas cette période à l’ambiance improbable où beaucoup se demandent ce qu’ils font encore là. Après plusieurs années de travail au collège, je ne me suis toujours pas départi de ma « culture du primaire ». Dégagé des obligations de surveillance et de corrections de copies du Brevet, « j’ouvre » l’ ULIS tous les jours de juin et de début juillet. Curiosité : le jour des épreuves du Brevet, l’ ULIS est la seule à être ouverte pendant que les élèves de 3° planchent. Aussi, les élèves sont seuls à manger à la cantine. Le réfectoire sonne creux. Voici donc ces derniers jours. L’effectif s’est un peu réduit. Les départs « au bled » et autres vacances anticipées ont fait des coupes claires dans l’effectif aujourd’hui « à l’étiage ». Les deux derniers jours de l’année sont consacrés au rangement de la classe. Tout doit être mis en carton afin de faciliter le travail des agents de service qui videront la salle – carton et mobilier – pour le nettoyage annuel. La salle de l’ ULIS ressemble à une salle de classe d’école primaire. La quantité de matériau et de matériel ( très hétéroclites : on jette rien, « ça peut servir ») est importante et prend beaucoup de place. Là encore, le contraste avec les salles de cours du collège est frappant. Beaucoup de salles ne sont pas dédiées à une seule discipline et/ou pas un seul professeur. Il en résulte un caractère impersonnel et une décoration dépouillée.
Quelques salles échappent à ce destin : les laboratoires de sciences et de technologie et la salle d’arts plastiques. Les salles de langues se voient décorées de drapeau, de cartes et plus largement d’affichages marquant la culture particulière du pays. Les salles de Français et de Mathématiques remportent la palme de la sobriété décorative. En classe primaire (et donc en ULIS), l’appropriation par les élèves et les adultes est plus marquée : le nombre d’heures passées dans ces murs et la variété des disciplines enseignées marquent l’espace. Nous voici donc dans le rangement : tri et classement. Le pédagogue y met des intentions d’apprendre. Parmi les élèves, les « anciens » sont les plus attentifs ; ils savent que l’opération inverse – ouvrir les cartons, ranger – de la rentrée sera facilitée par le soin pris aujourd’hui. Le dernier jour de cours, le rangement touche à sa fin, sans faiblir. Il est 10h45 et on s’habille pour sortir. Le moment, annoncé par mes soins ou divulgué par les anciens, est attendu par tous. Habitués ou novices, l’étrangeté de ce qui vient excite tout le monde. Il y a un parfum transgressif rien qu’à en parler : le prof paye son coup en terrasse ! Un frisson d’interdit traverse certains. Le bar, c’est « pour les grands » et c’est une première pour quelques-uns. Des élèves disent qu’il ne faut pas, que la religion l’interdit. Je rassure.
Les anciens se souviennent d’une sortie à Metz, il y deux ans, pour une chasse au Graouly. Il gelait à pierre fendre et nous avions trouvé refuge dans un bistrot pour se réchauffer d’un savoureux chocolat chaud. La petite troupe prête, nous passons à l’administration du collège prévenir de notre absence. Au fil des ans, cette sortie est devenue un rituel et le principal du collège donne son feu vert amusé à cette escapade. Les rues de la ville sont au diapason de l’humeur du jour, je ressens une joie un peu empesée par la moiteur de ce début juillet. Nous traversons la grand-rue en ralentissons devant quelques vitrines. Ici, la droguerie avec ses objets insolites, comme d’un autre âge, là, celle d’une artiste avec son univers très coloré, fait d’une multitude d’objets pour décorer les intérieurs et faire belle les femmes. Ailleurs, un monument historique merveilleusement restauré. On s’arrête, on se montre certains détails, on admire le chevalier creusé dans le calcaire avec une précision de dentellière. Les étonnements et les questions fusent. On écoute. On rit. On baguenaude. Nous arrivons sur une petite place de la vielle ville à quelques encablures du collège. Nous choisissons toujours la même terrasse du même bar. Nul tic comportemental ici, mais cet emplacement nous permet de voir l’ensemble de la petite place et ses allées et venues. Au même endroit de la terrasse, nous rassemblons trois tables et leurs chaises pour que tout le monde soit assis ensemble. Les lourdes tables en fontes se calent tant bien quel mal sur le sol pavé et nous nous installons sur l’osier des sièges à accoudoir. Les rares clients sourient de cet étonnant équipage. Si une ondée menace, nous nous plaçons sous les arcades qu’offre l’endroit. Les élèves et les adultes (l’enseignant et un ou deux auxiliaires de vie, selon l’année) s’installent. Nous sommes alors dix ou onze, attablés, à maintenant passer commande à la souriante serveuse, complice. Les choix exprimés, et dans l’attente des boissons, les discussions vont bon train. Dix minutes passées, l’hôtesse arrive avec un plein plateau où se serrent de multiples formes et couleurs.
Les verres remplis, dans cette presque Cène, je propose de trinquer à cette année qui se termine. Les verres s’entrechoquent au milieu des rires. Quelques libations accidentelles marquent l’autel de fortune. Des souvenirs de l’année surgissent au hasard des échanges. Les tensions, les conflits, les difficultés, tout est oublié le temps de cette alliance. Tous les visages sont joyeux, du sourire timide à l’éclat de rire. Rituellement, à la fin de chaque journée, une poignée de main permet à chacun de repartir le cœur moins lourd et signifie, malgré d’éventuels soucis, que rien n’est grave au fond, que la relation est préservée. Ce partage en fin d’année joue le même rôle.
Un second toast est porté pour saluer les élèves qui quittent le collège pour le lycée. Nous sommes sortis du collège et nous les accompagnons « au-dehors ». Je ne fais pas de grands discours, mais je cherche la formule, l’image que les élèves retiendront, comme des repères pour l’avenir. Les élèves sont habitués aux aphorismes. Un mot d’au revoir et « Donnez-nous des nouvelles ». Là, on parle des anciens qui sont venus nous rendre visite cette année ou que l’un ou l’autre a rencontré par hasard. Ils nous ont parlé du lycée et rassuré un peu ceux qui vont les rejoindre en septembre prochain : « Le lycée, c’est dur, mais bon, ça va quand même ».
C’est dans ce lieu, hors de l’institution, à la terrasse d’un café, que se marque cette étape pour certains et qu’une autre se prépare. Les nouveaux de l’année passée vont devenir des « anciens » et d’autres élèves vont arriver. Je dis cette étape devant tous, comme une balise dans une temporalité parfois floue. Déjà, je suis interrogé sur l’identité des futurs nouveaux : fille ou garçon ? Âges ? Prénoms ? Selon les informations en ma possession, je réponds. En aparté, certains imaginent comment sera tel nouveau, s’il sera beau, sympa, grand, ou pas. Les filles me questionnent en pouffant : « Il est beau le nouveau ? Vous l’avez vu ? ». « Vous verrez : ça sera la surprise ». Rires. « Il est beau, c’est sûr ! » assène joyeusement une fille.
L’heure passe et je me lève discrètement pour régler la note. Je reviens m’asseoir pour les dernières minutes avant le retour au collège, pour le repas de midi. « C’est vous qui payez ? » « Oui, vous voyez », «Avec l’argent de l’ULIS » « Non, avec le mien »,« Merci M’sieur ! » me lancent les élèves. « C’est moi qui vous remercie de votre aide. » Rires. Eh oui, aujourd’hui, c’est moi qui régale. Ils me connaissent et beaucoup de mes mots aussi. « Aide-moi » : combien de fois ont-ils entendu ces paroles de ma bouche ? D’autres mots aussi : « Aide-moi à t’aider », « aide-moi à t’aider à ne plus avoir besoin de mon aide », et j’en passe. Je leur dois beaucoup et cette tournée générale ne réglera pas la dette.
Tout élève fait crédit au professeur de le croire sur parole. Mais là, il s’agit de bien plus. Pourrais-je trouver, un jour, les mots pour articuler cela ?
A compléter par une courte biographie d’Alexis GERARD, coordonateur d’ULIS
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