Pourquoi cette question ?
Si la turbulence est l’ensemble des troubles qui perturbent un secteur d’activité, un domaine ; alors en quoi l’AIS peut-elle être considérée comme une turbulence ?
Dès lors l’image des tourbillons au sein du long fleuve tranquille de l’Institution est pertinente.
Quand la turbulence renvoie à l’agitation désordonnée, bruyante ; comment l’AIS peut-elle se reconnaître en ce mot ?
L’idée des vitesses différentes au cours de l’écoulement d’un même fluide ou encore de dissipation, de pétulance voire de vivacité nous permettent d’assumer cette place parfois enviée, souvent remise en cause de la marge institutionnelle.
Cette marge qui appartient complètement à la page, au devoir mais qui n’a ni la même fonction ni la même place que l’essentiel de la copie.
Regard expert, outillé puisqu’il appartient au domaine de l’éducation nationale ; mais regard en extériorité qui viendrait questionner les évidences, travailler l’implicite poil à gratter, empêcheur de penser en rond.
- turbulences, marges et institution scolaire
Etre dedans et dehors a permis au domaine de l’AIS de se trouver confronté plus tôt et de manière plus forte aux chocs encore sourds de l’Institution (violences, incivilités, délitement de la communauté scolaire…), à des déchirures encore imperceptibles à l’époque (absence de sens du travail scolaire, perte de motivation des élèves, fonction ségrégative des évaluations….), à des évidences nouvelles ( le droit à la différence, la nécessité du travail en commun, l’obligation d’intégrer les handicapés).
Autant d’éléments appartenant aujourd’hui à notre quotidien de professionnels d’un métier de la relation parmi d’autres : enseignant….. Le votre demain !
Etre à la marge a nécessité de faire face seuls aux turbulences de l’Institution ( exclusion des élèves les plus en difficulté, marginalisation des pratiques parfois innovantes, souvent incomprises).
Il a fallu en outre inventer un regard différent sur les élèves, partir de ce qu’ils savent, de ce qu’ils réussissent au lieu de stigmatiser ce qui leur fait défaut, leur fait peur, leur fait honte parfois, leur fait violence aussi.
Il s’est avéré indispensable de questionner la relation pédagogique comme lieu de détermination de l’échec scolaire. La relation de l’élève au savoir d’abord inconnu bien sur, mais aussi la relation de l’adulte à l ’incertitude des vérités, au doute face à la complexité et enfin celle de la relation entre deux personnes humaines, également respectables et également désirantes.
La nature et la place des savoirs de l’école est aussi une vraie question turbulente :
Savoirs scolaires, savoirs de la rue, savoirs de la famille comment les articuler dans le respect de la construction de l’Identité ?
Savoirs déclarés, visibles mesurables dans des taches scolaires mais aussi savoirs en actes, procédures justes sur des objets ou des opérateurs parfois erronés….Comment ne pas réduire les seconds aux premiers ?
Personne en construction tout au long de la vie, pari de l’éducabilité à gagner chaque jour pour chaque élève quel que soit notre lassitude, notre perte de courage quand le renoncement et l’abandon guettent.
- les réponses pour les élèves en marge :
Dans ces perspectives quelles sont actuellement les turbulences sensibles en AIS ?
La Confiance
Elle est un facteur de réussite des relations humaines, une conséquence des progrès du travail des professionnels de l ‘enseignement et un objet de recherche en pédagogie.
Dans le cadre des rapports des écoles en recherche sur « l’école du XXI° siècle », elle n’est pas toujours explicitement nommée, en tant que telle, mais elle se laisse saisir au travers de nombreuses locutions : respect, authenticité, attitude bienveillante, alliance éducative.
Dans cet essai de synthèse, nous tenterons de l’identifier au cœur de plusieurs relations dans l’espace scolaire :
Les relations entre maître et élève,
Les relations entre les adultes enseignants,
Les relations entre les adultes éducateurs,
Les relations de l’élève à lui-même : la confiance en soi,
Les relations entre l’Ecole et la société..
La place de la parole de l’enfant à l’école/L’écoute /Le travail d’équipe
Je cite quelques fragments tirés des rapports des écoles en recherche sur l’école du XXI° siècle dans notre académie :
« Cycle 2 :
- Décloisonnement en Cours Préparatoire : 1,5 classe répartie en 4 groupes de besoin, encadrés par l’enseignant du CP (élèves nécessitant du soutien), l’enseignant spécialisé (élèves suivis par le RASED) et 2 aides éducateurs.
- Décloisonnement en CE1 : 1,5 classe répartie comme ci-dessus
La fréquence de ce décloisonnement est de 2 séquences de 45 min par semaine.
En périodes 4 et 5, le décloisonnement s’étend sur l’ensemble du cycle 2, les enfants étant répartis en fonction du degré de leurs compétences en lecture, défini par des tests communs passés à ce moment de l’année, ou éventuellement, en période 5, seulement selon la vitesse d’apprentissage des CP.
Cycle 3 :
- Le décloisonnement se fait sur les 4 classes du cycle avec les 4 enseignants et les 2 aides éducateurs, soit 6 groupes. » [1]
Leur présence régulière aux côtés des enseignants ont permis d’envisager d’autres collaborations de ce type avec les maîtres spécialisés en particulier.
«La mise en place du travail en co-intervention (Maître E + Maître de la classe) et/ou du travail de remédiations hors de la classe.
La mise en place d’un système de rotation permettant aux Maîtres de se poser en tant qu’observateurs de leur propre classe, pour qu’il n’y ait pas que des observations en situation duelle». [2]
« Les échanges de pratique, l’observation ou l’intervention en classe du maître de soutien, la prise en charge d’une autre classe ont établi des relations de confiance et de tolérance entre enseignants. »
S’est alors posée la question de l’opportunité de ces co interventions : « pas tout le temps et pas pour tout le monde ! »
«Les groupes ne sont pas figés : les élèves peuvent être amenés à passer de l’un à l’autre en fonction de l’évolution de leurs compétences»
Il a été question d’aider en situation ordinaire des élèves en difficulté scolaire afin de les observer et de leur accorder une bienveillante attention en contexte scolaire et pédagogique réel :
« Le type de remédiations a été parfois modifié : plus de travail en classe mais avec deux enseignants plutôt que des petits groupes en dehors de la classe par exemple. »
Pour ceux qui rencontraient le plus de difficulté cela n’a jamais exclu la prise en charge spécialisée en dehors de la clase d’origine :
Le contrat
Contrat, projet de prise en charge, projet d’aide individualisée autant de façons de situer une action particulière en réponse à un besoin dans la double perspective de l’écolier ordinaire, commun et de l’enfant en difficulté qui mérite attention, action, activités particulières.
Afin de ne pas l’enfermer dans une réalité définitive, nous créons pour un temps des conditions adaptées à la prise en compte de ses difficultés. Tout est révisable et ainsi l’échec momentané n’est plus une fatalité, une marque définitive.
Le contrat rassemble les acteurs de l’éducation, de l’aide voire du soin ou encore de la prise en charge sociale ainsi que les parents et l’enfant…
Faisons le pari que vous pourrez vous emparer et mettre en œuvre au quotidien, dans des situations ordinaires certains des éléments que je viens de présenter.
- Pour ne pas désintégrer les élèves en difficulté : quelques exemples
LE TRAVAIL EN EQUIPE
« Le mode d’organisation des aides vers les enfants en difficulté nous a obligés à plus d’harmonisation et de concertation. Le rôle des conseils de cycle a pris une importance accrue. Chaque enseignant a pu garder son identité et sa façon de faire en se mettant au service d’une même recherche. Les compétences spécifiques de chacun ont été exploitées dans les ateliers ou les décloisonnements.
L’ensemble de l’équipe ayant ressenti la réelle efficacité du dispositif ainsi que l’amélioration de leur condition d’enseignement, souhaite conserver la même organisation pédagogique en préservant les postes de soutien créés même s’il fallait pour cela créer des classes à cours multiples.
Les échanges de pratique, l’observation ou l’intervention en classe du maître de soutien, la prise en charge d’une autre classe ont établi des relations de confiance et de tolérance entre enseignants.
La recherche engagée a fait apparaître la réelle nécessité de poursuivre un travail plus approfondi et détaillé dans les programmations et les contenus. La nécessité de disposer d’outils d’évaluation plus affinés s’impose ; ils sont indispensables pour faire les ajustements nécessaires (composition des groupes, nature des interventions et des contenus…) » [3]
Pour les apprentissages délicats comme l’entrée dans le travail de lecture et d’écriture au CP, il a été possible d’apporter regards croisés et aides ponctuelles (par exemple au moment de l’entrée dans la tâche, ce moment où il est si tentant de ne pas y être encore tout à fait et si facile de perdre pied dès l’entame.)
LA POSTURE D’AIDE EN PEDAGOGIE.
Nous partirons de l’idée que l’acte d’apprendre est dangereux pour le sujet et qu’il peut être rapproché pour certains des « travaux » et « épreuves » relatés par la mythologie [4] et pour d’autres de « la quête » [5] ou de « la métamorphose » [6] comme il en est souvent question dans les contes.
Dans cette perspective, qu’en est-il de la posture d’aide ?
Nous l’interrogerons sous l’aspect du changement, faisant ainsi l’hypothèse que cette posture pédagogique ne va pas de soi.
- Changer de héros :
D’ordinaire, ce sont le savoir, les compétences, les programmes, les référentiels qui sont au centre des préoccupations pédagogiques. D’ailleurs le « Savoir » ne fonde-t-il pas l’école, la relation pédagogique et l’expertise du rapport au savoir ?
Dans notre perspective et en cohérence avec la loi d’orientation de 1989 ( Nouvelle Politique pour
l’ Ecole ) ; c’est l’élève dans sa quête de connaissance et de réussite qui prend la place du « Héros ».
Notre souci de pédagogue est caractérisé par les questions suivantes :
» Comment s’y prend-il pour avancer, réussir, renoncer, échouer, hésiter …? »
La posture d’aide nous conduit à devenir « adjuvant ».
- Changer de point de vue :
Généralement la relation pédagogique s’organise en une suite de face à face fondés par le savoir autour duquel enseignant et élève se toisent voire pire lorsque le savoir ( ou la référence au savoir) disparaît et laisse place à des conflits directs.
Il est possible de valoriser « l’attention conjointe » (« regarder ensemble dans la même direction » comme dit le poète). Cette notion est issue des travaux concernant le développement de la communication intentionnelle chez le jeune enfant.
Il est donc question de porter ensemble et en même temps son attention sur ce qui fait difficulté à l’élève ayant besoin d’aide (spécial Needs Education). L’objet de la relation n’est plus entre les protagonistes, il est en point de mire pour chacun.
- Changer de rôle :
Plus qu’enseigner, c’est alors accompagner qui devient le geste professionnel de référence.
Nous pourrions faire allusion à la posture d’effacement favorable aux apprentissages en maternelle.
Il s’agit alors de laisser du temps à l’élève pour s’engager réellement dans l’action, agir pleinement et aller au bout de la tentative en garantissant son intégrité physique, morale, psychique et symbolique.
Il s’agit aussi d’être persuadé qu’en le laissant agir, nous lui permettons de comprendre à sa façon.
Permettre l’achèvement c’est favoriser la « reprise », la lecture de l’écart entre ce qui était prévu et ce qui s’est vraiment réalisé.
L’adulte en posture d’aide invite l’élève à dire comment il s’y prend, à ré élaborer l’objet en point de mire (objectif de savoir, de méthode, d’attitude) et à se renseigner sur lui-même en train d’apprendre (sujet, objet de son propre apprentissage).
Enfin c’est accepter la vision de l’élève, son point de vue en posant celui de l’adulte en équivalence.
En conclusion , si les turbulences sont le signe du mouvement, du vivant, voire de l’inattendu ; il convient alors de les entendre aussi comme des demandes d’aide et d’y répondre en professionnels des métiers de la relation au sein d’un collectif.
Ce qui est au travail aujourd’hui dans le secteur de l’AIS concernera, demain, tous les acteurs de l’éducation nationale.
[1] Ecole Paul Verlaine 57
[2] école A.Vautrin à Maxéville
[3] école de Terville
[4] Serge BOIMARE « Pédagogue avec des enfants qui ont peur d’apprendre et de penser », in « Penser, apprendre, la cognition de l’enfant, « , Ph. MAZET et S. LEBOVICI, ESHEL , Genève, 1988.
[5] Schéma narratif de AJ.GREIMAS : Héros, adjuvant, quête …
[6] André GIORDAN : « Apprendre », collection débat, BELIN, 98.