Besoins éducatifs particuliers et inclusion – Les occasions d’apprendre

Auteur
Jean-Marc Paragot
RESUME

Les « occasions d’apprendre » un geste professionnel d’aujourd’hui…


Donner l’occasion d’apprendre et de se former, ce serait offrir à l’Autre la possibilité de s’engager dans l’apprentissage ou la formation en tant que Sujet.
La prise en compte des occasions d’apprendre et des contextes deviendraient un geste professionnel essentiel.


Opportunités
Nous nous demanderons dans cet article quelle est la pertinence de cet objet de pensée, si c’est un bon moment pour le proposer  à nouveau en partage dans la profession d’enseignant, de formateur ? L’élève, les élèves sont-ils en mesure de s’en emparer, cela représente-t-il un véritable pas dans leur développement de soi, dans leur rapport au savoir et dans la construction de leurs connaissances ? N’est-ce qu’une réédition plate et ennuyeuse, un artifice pédagogique tant pour l’enseignant que pour les élèves ?
Au plan théorique les « occasions d’apprendre » nous permettraient d’introduire un tiers dans le conflit ancien entre pédagogues et didacticiens (Astolfi et Houssaye, 1996). Aux cotés de la pédagogie et de la didactique, n’y aurait-il pas un peu de place pour la clinique ? Les travaux autour de l’action didactique conjointe (Sensévy, 2007) nous encouragent également dans ce sens
La composition à l’amiable de l’espace théorique des pratiques permettrait ainsi d’envisager une nouvelle complémentarité de champs indissociables pour penser et agir en professionnels de l’enseignement, de l’apprentissage et de la formation. Nous proposons d’identifier trois pratiques qui concernent notre propos. D’une part, les pratiques pédagogiques qui permettent à l’enfant, l’adulte de s’engager dans les activités. Les pratiques didactiques, ensuite qui aident l’élève à construire une étape dans le parcours logique d’un savoir (logique scientifique, logique psychologique, logique épistémologique). Les pratiques cliniques, enfin, qui favorisent l’élaboration des liens de sens dans le développement du sujet connaissant. Cette réflexion concernerait donc aussi les enseignants documentalistes.


Origine de l’expression en quelques mots
Cette expression a été publiée sous la forme d’une recommandation dans le cadre du groupe de travail ministériel sur l’éducation physique à l’école élémentaire (Paragot, 1991). Car l’éducation physique avec ses programmes, ses activités de références, ses contraintes liées aux milieux adaptés aux différentes pratiques (gymnase, piscine, stade…) avait toujours su créer les conditions d’une poésie du temps, de l’espace et du corps (M.Serres, 1985. J.Deleuze, 1980), une expérience possible de l’angoisse et du plaisir (épreuve écrite capeps 1975. JF. Marie, 1997. D. Gleyse, 2007).
Ces choses tellement touchantes (corps touché, touchant, B.Andrieu, 2004) qui échappent à la préparation méthodique de la leçon (D.Picouly,1995, p115).
En même temps, la défense de ces spécificités qui auraient pu faire de l’éducation physique un enseignement extraordinaire a été battue en brèche abandonnant « le corps à l’école » au profit d’un objet des sciences et techniques renvoyant à des pratiques sociales de référence (les STAPS).
La notion d’occasion nous avait alors permis de défendre une position certes minoritaire mais audible. L’Education Physique et Sportive au premier degré avait résisté, un peu et pour quelques temps.
Nous lui redonnons ici une place, par ce texte car depuis nous avons souvent été obligés de justifier « l’occasion d’apprendre » face aux regards péjoratifs pour une fonction dite apéritive de l’enseignement, face à l’injonction institutionnelle à plus d’objectivation professionnelle (comment évaluer une occasion ?), face au discrédit lu dans les regards de certains chercheurs face à cette trouvaille bien ingérable (pas d’invariants objectivables, quantifiables pour une occasion). D’ailleurs nous écrivions Avec Patrice Nagel, complice engagé dans les stages nationaux de formation. à l’époque des textes sur la gestion raisonnée de l’incertitude méthodique que nous inscrivions quelque part aux confins de l’improvisation tempérée, de l’occasion à construire et de l’activité incertaine pour les enseignants et les formateurs qui consiste à garantir souvent dans l’urgence voire le paroxysme, les cadres d’une activité commune (une classe) et formatrice (des visées au-delà de la seule activité physique).
Aujourd’hui après les publications de Perrenoud (1999), il semble normal de parler d’incertitude et d’urgence dans notre métier, mais il n’en a pas toujours été ainsi Perrenoud P (1999). Enseigner : agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude. Pédagogies : Recherche. ESF, Paris..
Pourtant depuis longtemps, les Anglo-Saxons utilisent une notion voisine : « opportunity to learn » ou OTL depuis les années 60′ avec John Caroll. Certains chercheurs ont établi des critères qui définissent les conditions favorables à l’OTL (Ysseldyke, Thurlow et Shin, 1995).
Ailleurs, dans le domaine de la didactique des langues, des chercheurs ont développé la notion de « perspective actionnelle » (Puren, 2002) qui n’est pas sans proximités avec « l’occasion d’apprendre ».
Ces travaux prennent en compte le sujet apprenant et sa culture, son « déjà là ».
En recherche, plus récemment, les travaux d’importation de la notion « d’après coup » (Chaussecourte, 2010) dans le domaine de l’apprentissage et de la formation relancent l’idée que tout le sens ne peut être prévu et que ce qui survient après le « feu de l’action » constitue un matériau sensé, sensible, aujourd’hui indispensable à la compréhension du métier d’enseignant.
C’est devenu un geste professionnel ordinaire que de donner l’occasion d’apprendre. Le professionnel joue sur les incertitudes. L’occasion est une possibilité d’agir, d’apprendre, de réagir. L’élève peut la saisir ou pas.


« L’occasion » au regard de l’apprentissage
Apprendre, comprendre, connaître se situent dans une temporalité dont nous proposons quelques repères Construits à partir des stages nationaux de 19991/1992/1993.
Il nous semble opportun de proposer un axe temporel de la construction d’un savoir valable dans des secteurs différents de celui-ci. Le fait d’être enseignant d’éducation physique et sportive à l’origine peut nous avoir aidés à percevoir les «temps» comme nous les indiquons maintenant.
en six temps.

Le premier est le temps des actes concrets : « Il se passe quelque chose ! » A chaque fois nous avons imaginé une sorte de voix intérieure du sujet en train d’apprendre afin d’illustrer notre proposition.
Deux types «d’objets mentaux» seraient traités au cours de cette phase.
Tout d’abord, les schèmes antérieurs sont évoqués, rappelés (appel à la mémoire, à la perception). C’est le moment de la saisie de l’expérience antérieure (D.Kolb). «Ils» (les schèmes) fonctionnent plus ou moins bien c’est à dire qu’ils sont plus ou moins adaptés à la situation inconnue qui se présente.
Ensuite, les représentations et les évocations de transformation favorisent le pilotage ou la cybernétique mentale ce qui permet d’adapter de proche en proche ce qui est su à ce qui est encore inconnu. Ce pilotage «à vue» est paradoxalement peu ou pas clair et souvent difficilement identifiable au plan de la conscience.
Le second temps est celui des actes mentaux : « Qu’est-ce qu’il m’arrive ? »
L’effet qui se produit juste après la mise à l’essai du sujet face à l’épreuve plus ou moins réussie est traité psychologiquement.
Il prend appui sur ses émotions, ses sensations (« Qu’est-ce qu’il m’arrive ? ») ainsi que sur les deux éléments du premier temps perturbés qui peuvent apparaître comme une nouveauté : « En quoi ai-je changé ? ».
Cette opération est marquée par une dimension affective très forte : « Ce que cela me fait, comment je l’accepte ou non …». Ce temps nous semble caractérisé par les évocations symboliques et par la possible apparition de résistances à la nouveauté, à l’inédit : « Ça fout la trouille ! » (Boimare, 1999).
Le troisième temps consiste en la fixation de ce qui est appris : « Ca y est ! »
Ce temps permet d’envisager la reproduction de l’acte (concret, mental) par l’encodage des procédures engagées et des conséquences ressenties, perçues, constatées. Il s’effectue par un langage en deçà des mots (le niveau préverbal ?), intime, non racontable à d’autres. La conscience du produit fini s’affine grâce à de nouvelles évocations (mémoire de rappel, à court terme). Ce moment de « poésie intime » ne peut être partagé qu’à l’aide des affects ou d’effets poétiques. C’est le moment de recréation du sens par un ressort émotionnel intense, identifié en tant que tel, partageable dans le silence des mots et en « écho-empathie » entre celui-ci (le maître, le guidant, l’initiateur…) qui sait et sent que l’autre découvre qu’il est en train de savoir et celui-là (l’élève, le guidé, le néophyte) qui se découvre savant (doué du savoir en cause).
Le quatrième temps est celui de la formulation : « Quand je fais « ça »… ça fait « ça ».
La formulation se réalise par des mots intimes, des structures personnelles qui forment un « langage privé » sous une forme proche de la comptine, du charabia, de la psalmodie. Cela fonctionne sur un mode analogique et de correspondance terme à terme.
Les liens de causalité s’affirment, la lecture des écarts entre attendu et réalisé devient possible. La fiabilité des procédures est engagée et permettra de retravailler sur celles-ci au cas où elles seraient erronées voire défaillantes (Vermersch, 1994). La conscience de soi en action est sensible (Schön, 1983). Le passage au sens commun va pouvoir se réaliser.
Le codage est l’enjeu du cinquième temps : « Attends, je t’explique ! »
C’est le passage à un code élaboré par d’autres, à un langage général compris de tous. C’est un moment culturel au cours duquel le sujet s’inscrit dans la continuité des savoirs construits, disponibles.
Le sixième et dernier temps est celui de la généralisation. C’est aussi le moment de la compréhension (saisie par les concepts) de la réalité ou de l’idée. Par un phénomène de structuration référentielle, il devient possible d’agir mentalement sur des concepts. C’est un des modes de transformation de l’expérience en savoir (Kolb, 1984).
A partir de l’axe temporel développé ci-dessus, nous proposons quelques points de repères qui peuvent permettre de réaliser en situation une cohérence entre théories et pratiques de l’apprentissage.
Au-delà de la « séance », de la « séquence pédagogique », l’occasion d’apprendre
Quelle est l’opportunité pédagogique, quelle connaissance de « l’objet » didactique, quelle connaissance du « sujet » psychologique nous sont nécessaires pour offrir une occasion d’apprendre ? Comment le travail de l’enseignant se trouve-t-il reconfiguré dans la perspective de la mise en relation du sujet avec le contexte, de la mise en lien des savoirs épars qu’il va falloir composer en une connaissance inédite ? Comment les enseignants documentalistes en assumant leur spécificité, l’aspect transversal de leurs apports vont-ils pouvoir assumer les exigences du socle commun qui définit les compétences en les séparant dans l’espace (les disciplines) et dans le temps (les paliers). La force du lien, une approche fluctuante, l’importance du contexte sont à interroger du point de vue du socle et de la notion de compétence. Surtout lorsque nous notons que la cinquième compétence du cadre européen disparait dans le cadre français (MENJVA – DGESCO janvier 2011). « Apprendre à apprendre » aurait pu au contraire constituer une des réflexions communes à tous les enseignants dont les enseignants documentalistes. Car ce travail réflexif qui engage le sujet dans sa propre pensée sur elle-même et ses procédures, sur le sujet lui-même en train d’apprendre est une compétence essentielle. Elle favorise l’égalité des chances en permettant à chacun de dépasser l’illusion d’une pensée magique, de quelque chose d’inné, de non modifiable. Elle nous engage dans un processus positif du sujet vis à de lui-même qui découvre qu’il peut faire quelque chose, qu’il est capable, estimable dans le cadre d’activités scolaires. Qui fait de la pensée une exigence sur la quelle il est possible voire nécessaire d’agir en permanence. Etre sujet engage dans la reconnaissance pour l’autre et pour soi d’une théorie de l’esprit (Bateson, 1972). Ce peut être un gage de la lutte contre la barbarie (Henry, 1987/2002).

La situation pédagogique n’est alors qu’un moment dans le travail pédagogique qui s’amorce selon nous par des questions posées en amont, de nature anticipatrice. Ces questions souvent implicites peuvent être formulées, fixées ou non par le professionnel qui accueille des élèves dans un lieu de construction du savoir comme le centre de documentation et d’information, le gymnase, la classe ou l’atelier par exemple. Nous allons en passer quelques unes en revue dans ce qui va suivre.
Tout d’abord nous allons questionner l’objet de l’apprentissage (« Ce que je vais leur enseigner »). Il nous incombe de chercher à définir ce que cela représente pour lui, l’apprenant, de notre point de vue.
Quelle est l’opportunité pédagogique, quelle connaissance de « l’objet » didactique, quelle connaissance du « sujet » psychologique ?
Ensuite mettons au clair ce que cela représente pour nous et interrogeons nos représentations de l’élève, du savoir, de l’apprentissage, les justifications de notre mission et les moyens dont nous disposons pour l’accomplir.
Enfin, ce que cela représente pour celui-là, l’élève en présence. En tant que professionnel expert des apprentissages, analysons les particularités (identité, localité, culture…) et tentons de percevoir les enjeux de l’apprentissage pour le « sujet particulier » dans son « contexte spécifique ».
La seconde question nous amène à penser la construction d’un scénario possible (« Comment vais-je le présenter ? »).Il est important en premier lieu d’envisager la possibilité de lier cette occasion à d’autres dans le temps. Tant du point de vue de l’anthropologie des savoirs scolaires (Lévine et Develay, 2003), de celui de l’histoire des personnes, que de celui de la progression pédagogique et didactique.
Ensuite il nous faut construire des liens dans l’espace des savoirs (interdisciplinarité, compétences transversales, phénomènes d’enculturation…)
Enfin il nous incombe d’annoncer ce qui va se produire afin de permettre au « sujet » de déterminer consciemment ou non l’enjeu de ce pas vers l’inconnu, le méconnu, l’insu que représente l’apprentissage, d’en évaluer le risque, de se représenter lui-même en train d’apprendre et de bénéficier du plaisir de l’attente (Chalanset, 1994).
La dernière question concerne la gestion du « moment de l’apprentissage »
Même si nous doutons avec Mireille Cifali du terme gestion et de ses dérivés en matière de travail avec les humains, nous nous en tenons ici à cette appellation pour comprendre ce que nous avons à faire tout au long du temps d’apprentissage.
Annoncerons-nous en la mettant en scène l’occasion repérée, aménageons-nous le milieu afin de le rendre plus propice ou bien acceptons-nous l’imprévu comme occasion d’apprendre ?
Nous accompagnons l’apprenant au cours de son passage afin de servir de référence entre «avant» et «après» et dans l’espoir de pouvoir mettre en résonance ce qui arrive avec ce qui est dit et éprouvé. Enfin nous reconnaissons l’épreuve accomplie, le passage effectué, le moment clos.

Une approche fluctuante des apprentissages
Quelques éléments peuvent nous permettre d’affiner notre propos sans trop le formaliser. En effet, le risque serait grand de systématiser cette approche par l’idée d’occasion qui, par essence, ne peut être que fluctuante.
Lorsque nous donnons l’occasion à l’apprenant que souhaitons-nous faire ?
Nous espérons qu’il va pouvoir construire du sens en mettant les informations, les documents, les sensations, les réminiscences en lien. Nous parions qu’il sera peu à peu en mesure de déterminer un enjeu véritable pour lui. Nous l’aiderons à envisager les gains en efficacité, en ressources. Nous l’engagerons à comprendre ce en quoi ce nouveau savoir, mobilisé ailleurs pourra lui servir encore.
En outre il nous paraît essentiel que le sujet puisse éprouver et s’éprouver dans de multiples confrontations. A cet effet il pourra s’essayer à des rôles nouveaux dans le but de changer de point de vue face à l’objet du savoir (essayer- tenter- tâtonner- recommencer) sans redouter l’erreur. Il sera invité à interagir avec les autres en commentant les actions observées dans la pratique d’un pair (confronter les points de vue). Il trouvera dans l’observation d’un autre en train d’apprendre un modèle possible pour un apprentissage par imitation voire un modèle vicariant renforçant le sentiment d’auto efficacité (Bandura, 2004). Enfin il profitera de l’instant de la construction d’un savoir nouveau, d’une compétence inédite pour prendre conscience et s’approprier cette nouvelle réalité. Le ralentissement est souvent un indice que tout ce travail est en train de s’accomplir.
Lorsque nous donnons l’occasion d’apprendre, comment accompagnons-nous l’apprentissage ?
Nous proposons de nous installer dans la position basse en communication (école de Palo Alto) afin de laisser la place à l’initiative et au tâtonnement de l’élève tout en restant présent. Ensuite il nous importe d’être en altérité c’est-à-dire de retrouver en nous l’écho de nos propres temps d’apprentissages pour essayer de donner du sens à ce que l’apprenant produit.
Si l’enseignant parvient à s’effacer, il n’est pas absent ou passif. Il peut se consacrer à repérer au mieux les moments de passage de  « l’activité interne » à  « l’activité externe » du sujet (ou pour reprendre les temps travaillés plus haut le passage des temps 1,2 ,3 aux temps 4, 5,6). Ces passages confirment la construction du savoir de l’acte (temps 1 et 2) à la pensée (temps 5 et 6) par le langage (temps 3 et 4).
Enfin la place de l’enseignant est non seulement celle de l’évaluateur avec son éthique (Jorro, 2000) mais aussi celle de celui qui sait reconnaître que ce qui s’est passé est important dans l’instant réel (parole de véridicité chez M.Foucault cité par JC Filloux 1992) et que cette étape s’inscrit désormais dans le parcours de l’apprentissage tout au long de la vie, dans la durée. Nous retrouvons ici la figure du passeur culturel (Zakhartchouk, 1999) ou du passeur initiatique (Maisonneuve, 1988).

L’importance du contexte 

    • Le contexte peut être prévu, établi, pensé en fonction des enfants, de la tâche et de la représentation de l’apprentissage que s’en fait l’enseignant. Dès sa conception, le contexte interpelle l’enseignant dans sa connaissance de l’élève. Il peut aussi servir d’indicateur renseignant l’observateur extérieur et l’acteur engagé sur la manière dont celui-ci s’y prend pour effectuer le passage pédagogique de l’enfant générique à cet élève en particulier. Contextualiser c’est alors actualiser, adapter, importer les savoirs professionnels disponibles dans une réalité en train de se construire.*
    • Le contexte s’apparente, à priori, aux conditions matérielles et au dispositif sans pour autant s’y réduire.*
    • Le contexte se nourrit de l’imprévu : il s’élabore pendant le temps d’apprentissage par la survenue de la surprise, du décalage.*
      Se pose alors la question de la place que nous réservons à l’imprévu dans la préparation, la conduite et l’exploitation des séquences pédagogiques.
      Enfin cette notion oblige les enseignants à construire des savoirs professionnels nouveaux à partir de la réalité des élèves en train d’apprendre, y compris lorsque l’imprévu, l’insu ou l’inconnu surgissent du contexte, de leurs têtes d’élèves ou des gestes, postures, regards et paroles de l’Autre, partenaire d’apprentissage. Les gestes professionnels d’observation et de retrait prennent ici toute leur valeur.
      Les théories et le contexte
      « Du côté » du constructivisme, l’être humain élabore les connaissances en transformant continuellement sa relation avec les gens et les choses. Dès la naissance, les enfants développent, face au réel, une véritable activité de recherche : ils font des hypothèses, tâtonnent et expérimentent pour les éprouver, puis réajustent leurs actions, chaque découverte entraînant pour eux de nouvelles interrogations. Dans cette optique constructiviste, les interactions sociales M. Hardy, F.Platone, CRESAS, Interactions en groupe et construction des savoirs…, In repères n° 5 / 1992, p139 à 148. jouent un rôle prépondérant quand elles permettent, entre partenaires, la coopération, la confrontation, la recherche de consensus qui favorisent la manifestation de savoirs nouveaux. Le travail à partir de la ressource documentaire, l’observation des traces, le traitement de l’information font de notre point de vue parfaitement écho à cette vision des apprentissages.
      « Du côté » de la psychologie du développement de l’enfant, un outil importé de la biologie et retravaillé par les points de vue croisés de l’anthropologie et de la psychologie nous a permis de penser le contexte d’une manière élargie. Ce paradigme a été mis au point par Super et Harkness (1982, 1986 ; Harkness et Super, 1983) et nommé par eux «la niche développementale» par analogie avec le concept de «niche écologique. Son principe est que l’étude du développement de l’enfant ne prend toute sa signification que si elle porte en même temps sur l’organisme et sur le milieu dans lequel il se développe, l’interaction étant l’unité d’analyse.» P.R Dasen, revue ENFANCE, tome 41, n° 3-4 / 1988, p3 à 24.
      Il permet non seulement de saisir l’enfant au centre de son système de développement mais aussi de penser l’ensemble des interactions du sujet avec les différents milieux constitutifs de la «niche développementale « comme indispensables, équivalentes et réflexives (c’est à dire que l’Autre fait partie du contexte).
      Les «milieux» concernés sont au nombre de trois. Les contextes physiques et sociaux dans lesquels vit l’enfant. Les coutumes et pratiques culturelles de soins et d’éducation. Les croyances et les systèmes de valeurs de la psychologie parentale qui ont trait au développement de l’enfant et à son éducation.
      Pour aider à la mémorisation nous les nommerons la rue, l’école, la famille.
      Les pratiques sociales de références, les usages domestiques des outils et techniques actuels de communication et d’information viennent renforcer, contredire, menacer parfois les activités scolaires. Comment préserver une validité à chacun d’eux au profit de l’éducation responsable et citoyenne de chaque élève dont la mission d’éducation dans son ensemble a la charge ?
      L’enfant et le contexte
      Les enfants engagés dans un contexte favorable vont pouvoir élaborer des stratégies en relation avec ce qu’ils comprennent de la situation, ce qu’ils trouvent comme autant d’éléments facilitant, ce qu’ils acceptent de l’inédit, de l’insu. Ils devront en outre s’impliquer ou non dans des processus d’échanges, de mutualisation de co-construction du savoir.
      L’élève, l’enfant à l’école, est invité à agir, manipuler, penser, comprendre, communiquer sous l’effet de l’environnement matériel et humain. En plus de réaliser quelque chose ; il doit saisir de quoi il est question (construire le sens), percevoir dans l’environnement les ressources et les contraintes (s’adapter) pour élaborer une stratégie (anticiper), ensuite se doter des outils les plus appropriés selon lui (dont les collaborations, les alliances momentanées ou durables) pour enfin s’engager à son allure dans l’activité.
      Le gamin, citoyen d’espaces sociaux multiples, apprend à vivre ensemble dans différents groupes. Il peut inventer des règles, produire des règlements, se soumettre à des lois ou à des normes faisant ainsi l’expérience d’une citoyenneté composite.
      L’Enfant au cours de son développement n’applique pas, il cherche et construit son savoir.
      Contexte et contexture
      Après avoir envisagé les différentes acceptions du mot «contexte» il nous a paru nécessaire d’aller un peu plus loin dans l’idée du «tissé ensemble».
      En effet, si l’analyse du discours nous a permis de saisir l’aspect causal du contexte : ce qui s’énonce dépend de ce qui précède et de ce qui suit ; si l’aspect circonstanciel du contexte nous a aidés à concevoir les niveaux concentriques des interdépendances de l’environnement avec le fait observé ; il nous a semblé pertinent de creuser le sens issu des métiers du tissage et de l’anatomie où il est question de «contexture». Du latin contextus, «assemblage» : 14° siècle / contextere «tisser avec» : 1539 ; in dictionnaire de la langue française, Hachette, 1990.
      La contexture désigne pour les uns la façon dont s’entrecroisent les fils de trame et les fils de chaîne pour réaliser la consistance, la solidité et la cohérence de l’assemblage (notons que nous ne percevons pas forcément ce travail dans l’étoffe que nous décrivons, utilisons, regardons ; en revanche dès que nous la travaillons pour en faire quelque chose, alors ce bâti redevient sensible … N’en serait-il pas de même en pédagogie ?).
      Pour les autres, la contexture renvoie à l’organisation des différentes parties d’un tout comme pour les muscles ou les os. Les liaisons et agencements sont alors plus nombreux que ceux des deux axes du tissage ce qui rend compte de la complexité des plans, éléments qui constituent ce que nous percevons de l’extérieur comme un tout.
      Voilà pourquoi plutôt que «contexte» nous souhaitons proposer «contexture» moins utilisé mais peut-être plus proche de la notion que nous essayons de cerner dans le champ de la pédagogie.
      En résumé, « l’occasion d’apprendre » est la possibilité offerte au sujet de construire de la connaissance. Cette possibilité peut être imaginée, anticipée par l’enseignant. Ce temps prévu s’organise en situations d’apprentissage, leçons. Elle peut être articulée aux mécanismes d’apprentissage liés au contexte, à la contexture, aux rapports du sujet au milieu, du sujet aux autres sujets en train de vivre et d’apprendre.
      Elle peut être obtenue en temps réel, en grandeur nature, organisant ainsi une construction simultanée de l’apprentissage pour l’élève et de la transmission pour le maître.
      De ce point de vue, « l’occasion d’apprendre » représenterait l’instant didactique, le moment précieux (H.Lefebvre 1959) au cours duquel enseigner et apprendre seraient simultanés. Didacticiens et pédagogues au même banc d’avirons (Astolfi et Houssaye) pour un parcours fluide.
      Mais elle est un peu plus car elle nous oblige (nous, donneurs d’occasions) à travailler au chevet de ce qui survient.
      Donc que l’occasion soit préparée, aménagée, improvisée, elle nous engagerait à la dépasser en donnant du sens à ce qui survient, arrive, fait événement. Ce travail en situation et dans l’après coup signifie alors la nécessité du travail clinique dans l’enseignement et notamment en documentation en établissements scolaires.
      Il nous appartient de garantir dans le cours ordinaire de nos professions que l’imprévu ne devienne pas l’ennemi de l’efficacité et que l’insu, l’inconnu ne soient qu’un moment dans la construction de la connaissance et non un échec, une faute. Juste une erreur.
      L’occasion s’imposerait à nous comme une notion de clinique professionnelle des enseignants et des enseignants documentalistes.

      Jean-Marc PARAGOT
      IUFM de Lorraine /UHP
      Responsable de l’unité de différenciation  8
      Travailler avec des personnes
      à besoins éducatifs particuliers
      Juin/Juillet 2011

 

ELEMENTS DE BIBLIOGRAPHIE
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