Robert, collégien en ULIS, n’est pas du genre causant. Un syndrome autistique a été récemment repéré. Concrètement, les performances scolaires sont assez bonnes, le niveau de compréhension est bon. Sur le plan relationnel, Robert parle peu et apparaît comme « bougon ». Il répond rudement quand on le salue et il est peu aimable. Il grommelle. À l’occasion, des volées d’insultes fusent vers ses camarades. Il est souvent seul même quand il est accompagné. La participation orale en classe est quasi nulle, même quand on le sollicite. Il est retors à toute expression verbale. Robert n’est pas dénué d’humour ; il en est même bien pourvu. Je crois même l’avoir vu rire. Il semble regarder le monde qui l’entoure derrière ses larges lunettes et sa main devant sa bouche comme paravent.
Il a le regard qui semble ranger les autres au rayon curiosité.
Nous sommes au CDI. Les élèves consultent livres, revues et BD dans la perspective d’un prêt. Seul, à deux ou plus, les élèves consultent, feuillettent, lisent pour choisir ce qu’ils emprunteront ou pour le plaisir immédiat. C’est un temps «semi- informel ».
Par moment, la documentaliste ou moi accompagnons un élève dans le petit dédale du CDI. Mais aujourd’hui, le temps s’étire dans la torpeur de cette après-midi de printemps. Il est parfois des heures incertaines où une vague paresse nous saisit tous. Cette oisiveté semble propice à la lecture libre. Un petit groupe s’est formé, trois élèves de 6° dont Robert, dans un recoin du CDI. De loin, on voit les deux élèvesde part et d’autre de Robert, ce dernier semblant lire un grand livre.
Je m’approche discrètement, faisant mine de chercher un livre sur les étagères. À deux mètres du trio, j’entends Robert lire à haute et distincte voix, d’un ton mi-professoral, mi-narratif un livre largement ouvert La vie des mammifères : Les deux camarades ont la tête appuyée sur leur bras, grand sourire et le regard admiratif et intéressé vers Robert. Celui-ci ne cache pas non plus son plaisir. Il semble à la fois lire à voix haute et sourire. Quelle surprise ! Robert se montre sous un visage pour moi inédit. Passionné par les animaux, il transmet sa passion à ses deux camardes, ravis.
Je reviens discrètement vers ma collègue et je lui raconte ce qui se passe. Nous sommes émus par ce moment. Les progrès semblent arriver sans crier gare et semblent souvent échapper à toute intention pédagogique.