Une réunion d’ESS (Équipe de Suivi de la Scolarisation) en novembre au collège. Nous nous réunissons pour évoquer la situation d’élèves handicapés scolarisés en ULIS. C’est au tour de Dylan. La salle des conseils située à l’étage est faite de boiseries, la hauteur de plafond et l’immense table en chêne donne une solennité à toute réunion s’y déroulant. Parents, enfant, spécialistes, principale du collège, conseiller principal d’éducation, infirmière, auxiliaire de vie, professeurs, le parterre est attentif ; parents et enfants intimidés. Je me lance dans le récit des deux années passées par Dylan à l’ULIS. Je m’efforce de faire le lien entre les constats actuels et ceux passés. Si possible, je retrace les étapes qui nous ont amené à aujourd’hui. L’évolution de Dylan et la nôtre, l’équipe, et l’évolution du dispositif d’aide. Notre évolution c’est à dire notre recherche, les impasses et les fausses pistes, ce que l’on a trouvé, et ce que l’on cherche encore.
Extrait :
« Dylan est scolarisé en ULIS au collège depuis un an, il s’est rapidement adapté au collège et à sa nouvelle classe. Il est donc en deuxième année d’ULIS.
Très sociable, il a su se faire apprécier par les adultes et par ses camarades de classe. Il va facilement vers les autres élèves du collège avec lesquels il a noué des liens. Assez lent pour accomplir certaines tâches ou gestes l’an dernier, aujourd’hui des améliorations sont à noter.
Dylan a fait un certain nombre d’acquisitions scolaires. Les compétences fondamentales (fin de cycle 2) dans le domaine de la langue et dans le domaine mathématique sont acquises. Le travail fait avec Dylan se situe dans le champ des compétences de cycle 3, dont un certain nombre sont acquises (en mathématiques surtout).
La participation en classe est globalement bonne : Dylan est curieux et intéressé. Par moment, il ne veut plus travailler et semble vivre mal les contraintes. Face à certaines contraintes collectives (on fait tous du calcul au même moment, ensemble) il affirme parfois sa singularité – « Je suis différent des autres » dit-il -. Lorsqu’on se déplace en ville pour aller à la piscine ou lors d’une sortie, il va se mettre à marcher très lentement en répétant qu’il est différent. Nous (l’auxiliaire de vie et moi) n’arrivons pas à repérer d’éléments déclencheurs particuliers. Il semble que ces moments de « blocage » aient plusieurs origines : le stress (peur d’échouer), la fatigue, la lassitude, …
Depuis la rentrée de septembre, de réels progrès sont à noter sur ce plan. C’est encourageant.
En classe, nous « naviguons » entre la fermeté et laisser faire. C’est affaire de ressenti qui dépend de différents critères dont la situation : lors d’une sortie on ne peut pas le laisser seul dans la rue ! Quelque soit le choix on le justifie auprès de Dylan, non sans avoir essayé d’établir le dialogue, ce qui est quasi-impossible dans ces moments de «crise». La fermeté se veut « contenante » au sens où notre action se veut rassurante, elle « assure » contre une dérive trop importante qui exclurait trop Dylan du groupe, d’une normalité et pour ainsi dire « l’enfermerait » dans ce type de comportement où il « s’ » enferme / est enfermé de fait. Parfois il donne l’impression d’être « pris », comme « happé » par une forme d’angoisse qui le paralyse et parfois il semble lâcher prise de lui-même, ou en partie de lui-même, volontairement presque, pour échapper à toute contrainte.
Il a longtemps très mal vécu les erreurs qu’il pouvait faire à l’écrit. Lorsqu’il faisait une erreur cela provoquait chez lui une importante crispation qui l’empêchait de poursuivre son travail. A l’écrit, une erreur (une lettre à la place d’une autre ou une lettre mal formée) entraînait une rature que Dylan accentuait beaucoup sous la forme d’une croix sur laquelle il repassait beaucoup de fois. Las, il semblait en être épuisé et ne faisait plus rien du tout. Cette situation de blocage pouvait durer une heure, deux heure, parfois une demi-journée. Le passage du stylo au crayon de papier sembla momentanément diminuer le problème. Mais les ratures ne disparaissent pas. Il refusait de gommer car on voyait toujours un peu la trace de l’erreur. La question de la trace semble importante.
Lorsqu’on joue au basket, Dylan vit très bien les erreurs : il n’y en a aucune trace.
Il avait besoin de s’isoler pour recouvrer son calme. Il exprimait par des mots son malaise face aux erreurs (« Je vais faire des cauchemars »). Cette attitude l’a considérablement freiné dans ses acquisitions. Il « se bloquait » et mettait du temps à se calmer et à se remettre au travail. Très sensible au bruit, il avait parfois besoin de s’isoler pour se concentrer à nouveau sur le travail.
Pendant la « crise », Dylan arrive à parler, à mettre quelques mots sur sa situation mais on ne peut pas parler de dialogue. Il dit quelque chose (ou rien) et puis c’est tout. C’est dans l’après-coup qu’il peut, plus ou moins, changer avec l’adulte sur son attitude.
Depuis la rentrée de septembre, son comportement s’est considérablement amélioré. Les troubles se sont quasiment résorbés. Il reste encore des traces des attitudes de l’an passé mais à l’état résiduel. Les angoisses sont beaucoup moins fortes. Les progrès s’en trouvent améliorés.
Dylan est de plus en plus autonome dans son travail. Il a encore besoin d’être stimulé et sollicité. Très à l’aise avec l’outil informatique, il investit davantage les tâches sur cet outil. Sur traitement de texte, l’erreur peut être corrigée sans laisser de trace. Notre choix est de ne pas trop proposer d’activité sur ordinateur pour ne pas s’attacher au symptôme.
Conscient de ses difficultés, il est possible de dialoguer avec lui tant il développe une lucidité remarquable. Le dialogue est limité mais les propos de Dylan sont précis et emprunts d’une conscience des faits.
Si son attitude globale s’améliore cette année, Dylan sera à même d’exploiter un potentiel cognitif tout à fait dans la norme. Ses performances sont très irrégulières. Lorsque Dylan est disponible, il investit les activités avec curiosité, envie et efficacité. Il mémorise facilement et possède une capacité d’abstraction normale. Il n’a aucun problème avec les codes et les manipule avec aisance.
C’est en EPS que Dylan semble le plus épanoui. C’est là aussi qu’un début de coopération se met en place. Le sport collectif lui permet – l’oblige ! – à se situer par rapport aux autres et à les prendre en compte.
En classe, les activités scolaires, plus ou moins directives, ne semblent pas permettre à Dylan de travailler avec les autres. Il semble trop préoccupé par lui, par lui et son travail, lui et le savoir.
L’ULIS est une structure qui semble convenir à Dylan ; structure qui offre un environnement serein, un accompagnement par les adultes qui peut être modulable. L’ULIS a un fonctionnement suffisamment souple pour « amortir » les moments de « crise », qui apparaissent comme moins déviant que s’ils se produisaient en classe ordinaire.
Si l’actuelle dynamique positive se confirme, l’ULIS offre la possibilité d’une scolarisation en classe ordinaire, de façon mesurée et progressive en fonction du niveau scolaire et des progrès dans les attitudes de Dylan.
L’inquiétude de la famille pour l’avenir, l’avenir professionnel notamment, cette inquiétude nous la partageons. Ce n’est pas la même inquiétude, ce n’est pas notre enfant. Disons que nous sommes inquiets, raisonnablement inquiets. Nous sommes affectés par les difficultés de Dylan et heureusement, cela nous permets de nous mobiliser. Mais l’inquiétude ne nous paralyse pas. Nous souhaitons que les progrès soient plus rapides. Notre inquiétude nous maintient en éveil, en veille, sur ce qu’il convient de faire. Ce qui peut rassurer la famille c’est notre engagement à côté de Dylan pour chercher avec lui les pistes de progrès ; avec lui et avec notre expertise, notre expérience. Il ne s’agit pas de trouver la bonne méthode, la méthode miracle mais de l’aider à se développer avec beaucoup de bienveillance et beaucoup d’exigence.
Je parle beaucoup et longtemps, mais l’éloquence emporte l’adhésion, il s’agit à la fois de maintenir l’auditoire attentif et de lui faire approcher le sens que je tente d’établir.
Il s’agit d’un récit non écrit à l’avance. Je raconte. Il m’apparaît fondamental de ne pas lire un récit déjà écrit afin de garder une forme qui permet une élaboration dans le présent de la situation.
J’ai quelques repères mais je ne sais pas exactement où le récit va me mener. Les choses ne sont pas assénées mais le discours tourne autour, tente d’approcher une réalité. Cette forme de discours faite d’imprécision et de flou est en faite une recherche devant tous et pour soi. Il en va d’une élaboration en temps réel ; élaboration, recherche de sens qui veut ouvrir un espace mental d’élaboration pour celui qui écoute. Depuis maintenant de longues années, je peux dire que ces réunions sont de véritables temps de travail, un travail d’élaboration collective de sens. Chacun vient avec ses fragments de pratiques, d’observation, de réflexion et on tente de rassembler tout cela pour interroger l’énigme – les énigmes – [chose ou personne difficile à comprendre]. Il ne s’agit pas précisément d’un puzzle où chaque partenaire viendrait poser sa (ses) pièce(s). Il y a de cela quand chaque partenaire raconte ce qui se passe dans son cadre d’intervention qui est un milieu particulier à chaque fois. Il en va d’une approche globale du jeune.
Ma fonction fait que c’est moi qui parle en premier. L’enseignant référent conclut la réunion sous forme d’une rapide synthèse qui fournira le canevas du compte rendu de réunion.
C’est à la sortie de cette réunion que j’ai pris conscience de la nature de mon discours : un récit. Tout y était : les événements, la temporalité, la mise en mots, l’éloquence. J’ai pris d’avantage conscience de l’effet de séduction qu’a cette forme. Il y a une volonté de captiver l’auditoire pour convaincre, et pour me convaincre.
Si ce n’était que cela ce serait bien pauvre, bien insuffisant. La réalité, je la perçois plus nuancée. La réalité c’est que même au moment où je parle je suis en recherche et que ce « rendre compte » de mon travail est encore du travail. Je parle mais j’essaie de me placer à la pointe de mon ignorance qui fait que c’est en m’entendant dire certains mots que « j’en apprends ». Le récit n’est pas clos, il n’a pas à être récité : il est proposé à la réflexion des autres.
A compléter par une courte biographie d’Alexis GERARD, coordonateur d’ULIS
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