À l’école la question de l’ouverture culturelle, de l’ouverture à d’autres cultures, est un enjeu important à de multiples points de vue. Au-delà des considérations générales, la pratique quotidienne y confrontent tous les acteurs.
Ne faut-il pas être au clair avec sa propre identité pour dialoguer avec d’autres cultures étrangères, voire qui nous apparaissent étranges ? L’identité culturelle de chacun se trouve interrogée,altérée et donc, peu prou, constituée des cultures multiples. Toute culture conjugue les pratiques quotidiennes, concrètes (complexité horizontale) et les biographies personnelles, familiales, collectives et sociales (complexité verticale). La tension entre logique d’appartenance et logique relationnelle s’exacerbe. L’étranger n’est pas seulement d’une autre nationalité, il peut être aussi un voisin, montrant ainsi qu’une communauté nationale n’est pas homogène du point de vue des valeurs et que si la Nation se réunit autour de valeurs communes qui transcendent chacun de ses membres, l’ensemble de ceux-ci ne sont pas « axiologiquement purs » mais, au contraire, cet ensemble relève d’une diversité qui en fait la richesse.
Au quotidien, nous accueillons des élèves dont les valeurs familiales et personnelles ne concordent pas (pas toujours), ou peu, avec celles de l’école, celles de la République.
Intermittences
Dans le « paysage personnel » de certains élèves, l’école ne semble pas un élément essentiel. C’est un élément parmi d’autres. Ces élèves sont présents ou absents. Ils ont souvent mieux à faire, des tas d’activités familiales, parfois nébuleuses vu de l’extérieur.
Du point de vue de l’Institution, les absences sont constatées, comptabilisées et font l’objet de rappels à la loi, en vain. Pour le jeune, il ne s’agit pas forcément d’un désintérêt, mais ils sont occupés par ailleurs, une fête de famille (trois jours en Allemagne, en Italie, en Roumanie), des vacances anticipées, des démarches administratives (le jeune aide et traduit à ses parents), un week-end prolongé, un rendez-vous chez le dentiste (une demi-heure de rendez-vous = une journée d’absence), etc. Le pédagogue est contrarié : la programmation et la progression des apprentissages, élaborées avec précision, se trouvent mises à mal. Le jeune ne joue pas le jeu et ses lambeaux de présence tournent à l’absurde. Le dialogue est un échange d’incompréhensions. On n’est pas sur la même longueur d’onde.
Élodie est une jeune fille vive, avec un sens pratique bien ancré. Elle a vécu dans plusieurs pays avant son arrivée en France, il y a quatre ans. Elle a appris le français rapidement, assez pour se débrouiller dans la vie de tous les jours. Elle m’a rapidement fait sentir que l’accord du participe passé, pff…dans deux ans elle habitera certainement en Allemagne, alors… La famille est aux abonnés absents, toujours dans l’évitement.
Comme à l’usine
Autre exemple, certains élèves vont à l’école, comme certains adultes vont à l’usine. La temporalité est absorbée dans le fil des jours sans cesse répété avec pour seul horizon la fin de la scolarité obligatoire. Il faut aller à l’école jusqu’à seize ans. Après, on travaille, ou pas. La notion de parcours pour accéder à une profession épanouissante et gratifiante (les deux qualités se nourrissant l’une l’autre) n’est pas envisagée ou ignorée. Le pédagogue fait son possible pour baliser les durées.
Les faibles progrès des élèves d’ULIS, surtout sur le plan des acquisitions scolaires abstraites, accentuent cette sensation d’horizon sans fin.
Emilia est d’une famille d’anciens bateliers, aujourd’hui sédentarisés. Gaie, Emilia promène sa gouaille et sa bonne humeur bruyante, parlant et riant fort. Sociable, elle se fait apprécier rapidement. Bien disposée en classe, elle trouve tout de même que les efforts demandés sont très exagérés. Elle fait alors profil bas, mais dose sa dépense d’énergie, comme si elle se mettait en mode survie dans un environnement hostile. Ses acquis scolaires se situant vers la fin du cycle 2, Emilia se débrouille en lecture, en écriture, en calcul, en tout, ce qui semble confusément lui suffire. Quand on lui parle de progresser, quand on fixe des exigences, des étapes à franchir, elle se retournerait presque pour voir à qui on parle. Non, pas à elle. Emilia travaille à l’école ; est-ce qu’elle apprend ? Oui, à l’occasion, à condition que « ça soit pas chiant » parce qu’il « faut rigoler dans la vie ». Donc, Emilia travaille, comme à l’usine, avec une économie d’efforts parce qu’il faut durer.
Dotée d’un sens pratique bien installé, on ne se fait pas trop de soucis pour son avenir, d’autant qu’elle est à la fois respectueuse et respectée. Son éducation lui a fourni de bons principes qui lui permettent de ne pas subir les influences néfastes. Pourvu que ça dure.
A compléter par une courte biographie d’Alexis GERARD, coordonateur d’ULIS
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