Conseils à un coordonnateur débutant

Aaaahhh ! La belle séance !

CONTENU DE LA BREVE

Mes cheveux gris semblent à présent me désigner apte à conseiller les jeunes collègues qui souhaitent embrasser la carrière d’enseignant spécialisé.

Échange de courriels :

Cher Alexis

J’espère que cette nouvelle rentrée se passe bien pour toi. Je prends mes marques, je reçois et absorbe beaucoup d’informations, je prends le temps de connaître les nouveaux arrivants dans le dispositif ULIS collège.

Cette année va s’avérer prenante et passionnante !

Si tu as de la matière à faire partager sur des séquences, des évaluations, des ressources sur différentes matières dont je pourrais partir pour au final me les approprier avec mes propres méthodes et ma personnalité, je t’en serais reconnaissant, cela m’aiderait à bien démarrer.

Merci d’avance.

En attendant voici en vrac mes questions du moment :

  • comment organises-tu ton programme dans les moments de regroupement sachant que j’ai toujours des élèves qui vont et viennent ?
  • je ne connais pas encore bien les élèves et j’ai peur de « taper à côté » en terme de difficulté des tâches, comment fais-tu ?
  • comment différencies-tu ? Je prends un temps fou en préparations pour chaque élève et entre médiations et remédiations, je perds le fil !!
  • est-ce que tu fais grammaire, conjugaison, vocabulaire, …..comme dans les classes ?
  • j’ai commandé des livres avec le CDI , mais si tu avais des incontournables à me donner ?

 

Merci

A bientôt!

Pierrepauljacques


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Cher Pierrepauljacques,

J’ai bien reçu ton message et tes demandes de conseils. Je vois que tu te débrouilles déjà bien et, pour ce qui est des difficultés, travailler dans ce type de dispositif c’est y être abonné. Bienvenue au club ! Après un peu plus de vingt ans de travail quotidien, je me suis un peu habitué à cet inconfort et j’en ai même besoin. Ce travail semble à la fois un mélange de routine et de recherche constante et chaque élève semble me confronter à une part d’inédit qui me plonge dans des abîmes de perplexité. Alors oui, j’évalue toujours la qualité de mon travail à l’aune des progrès de l’élève le plus en difficulté : c’est un garde-fou contre toute tentative d’autosatisfaction , d’orgueil mal placé et ça me maintient en éveil.

Voilà de quoi ne pas te rassurer ou le contraire !

Pour tes questions, je vais répondre en vrac à celles auxquelles je peux répondre, pour les autres je te dirai pourquoi je ne peux pas t’aider, au moins directement. « Les conseilleurs ne sont pas les payeurs » et je vais plutôt témoigner de ma pratique plutôt que de te servir des recettes toutes prêtes qui ne fonctionnent que dans un lieu donné dans un temps donné. Ceci dit, quelques principes guident mon travail, tu les trouveras dans ce qui suit de façon plus ou moins explicite.

Pour ce qui est de l’évaluation, l’évaluation de début d’année, pour connaître le niveau des élèves, je ne fais pas d’évaluation sommative car c’est tout simplement impossible, de mon point de vue. Tu peux essayer et te faire ton idée. Mes essais ont vu des élèves inhibés par l’enjeu et la forme du test (succession des tâches et temps compté). Rapidement, j’ai utilisé ce qu’on appelle l’évaluation clinique. Je propose une activité et j’observe comment ça se passe. Et ainsi de suite. Donc, on se met au travail. Sur plusieurs semaines, se succèdent les champs disciplinaires. L’observation se fait en situation et n’est valable que pour une situation donnée. Il s’agit de collecter suffisamment d’observations dans différentes situations pour se faire une idée. Quand un élève arrive au collège c’est déjà un grand changement, le contexte est très différent de l’école primaire à beaucoup de points de vue. C’est pour cette raison, que je ne lis pas les bilans scolaires des années passées avant plusieurs semaines (sauf le volet médical s’il existe) car beaucoup d’élèves modifient leur comportement (et leur comportement se modifie) dans ce nouveau milieu.

Il y a donc les différents lieux, moments, personnes fréquentés dans la semaine, qui sont de petits ou grands changements, et qui sont des variables à prendre en compte lors de l’évaluation, d’autant que certains élèves d’ULIS sont très sensibles au contexte. Il va sans dire que le coordonnateur ULIS fait partie du contexte.

La pratique pédagogique est impactée par les allées et venues des élèves sur les temps de regroupement. C’est une donnée nouvelle pour les coordonnateurs. Certains hérauts de l’inclusion à tout va semblent occulter  cette difficulté, par ignorance le pus souvent, qui reconfigure une part importante de notre métier et de notre identité professionnelle. Ta question me permet de mettre au clair la façon dont je m’y prends. Si je prévois de travailler une notion, je la programme sur une semaine à différents horaires qui permet à tous de la travailler. Il y a redite pour plusieurs élèves mais cela est plutôt un avantage. Je redonne des explications. Les élèves qui sont en regroupement le moins souvent, donc en inclusion le plus souvent, sont ceux qui sont les plus performants sur le plan cognitif. Et inversement pour ceux qui sont souvent en regroupement. Cette organisation est une modalité de la différenciation.

La question du niveau de la tâche qu’il convient de donner à un élève est une question épineuse avec des élèves qui ont des troubles cognitifs. Souvent, les performances sont très irrégulières. Même avec un élève qu’on connaît bien, on est surpris positivement ou négativement. La crainte de « taper à côté » peut être évitée. Depuis longtemps, je mets l’élève « dans le coup » de cette recherche de la tâche la mieux adaptée. Cela dédramatise cette question. Je place l’élève comme personne ressource, comme la première personne à qui je demande de l’aide pour l’aider. Ainsi, je parle à son intelligence, je la sollicite, donc je la stimule. « Je te propose telle tâche, on va voir si elle peut t’aider à mieux apprendre. » Ensemble, tout en étudiant une notion, on évalue la façon de l’aborder (la leçon, les recherches, les exercices d’entraînement, etc.) C’est un partenariat.

Quelle belle question que celle de la différenciation ! C’est le cœur de métier du pédagogue et j’ai toujours pensé que la pédagogie différenciée était un pléonasme. Que serait une pédagogie indifférenciée ?! Techniquement, je fais à l’économie. Bien sûr, mes premières années d’enseignement, j’ai beaucoup fait de fiches de préparation. L’avantage c’est que tu sais ce que tu fais et où tu vas : c’est un exercice de clarification pour toi et pour les élèves. Ça permet aussi d’assimiler les programmes jusqu’à les savoir quasiment par cœur. Passée cette période, l’effort principal se déplace sur les médiations pendant les cours. La préparation des cours, elle, se centre sur la question des supports, éléments essentiels de la mise en scène du savoir. Quand je dis que je fais à l’économie c’est à dire que pour un groupe de trois élèves qui ont, si ce n’est le même niveau, disons un niveau pas trop éloigné, je propose la même tâche mais je module mon aide. Pour une liste de mots dont il faut mémoriser l’orthographe, le premier élève travail seul (avec une fiche méthode), le second travaille seul (toujours avec une fiche méthode) et je vais l’aider de temps en temps, le troisième, je suis assis à côté de lui et je l’aide quasi-constamment (seul il ne fait rien). C’est aussi le cas des contrôles en classe de référence. Avec le prof et l’élève, on se met d’accord sur les modalités de l’évaluation. Face à un sujet d’évaluation pour un DS soit l’élève fait le contrôle avec le cours sous les yeux, soit il peut l’ouvrir en cas de besoin, soit il le fait sans le cours. Dans les trois cas, l’élève peut être évalué seulement sur les questions auxquelles il répond (il a donc davantage de temps pour répondre)
Une remarque : quand on débute (et même après) la priorité c’est d’arriver en forme le matin pour être le plus disponible possible à ce qui va se passer dans la journée, comme un acteur qui entre en scène. Il n’est pas question de passer ses nuits à préparer la classe. Même si lorsqu’on débute, on est en surrégime (et c’est vrai dans tous les métiers), il s’agit de trouver un équilibre. Il ne s’agit pas de tout réinventer et il y a des ressources qui nous aident. Ensuite, si invention, il y a, c’est dans les médiations, la relation que ça se passe. Ensuite, tu choisis/construis, petit à petit, tes supports qui fonctionneront parfois avec certains élèves et pendant un temps limité.

Est-ce que je traite tous les aspects du programme comme dans les classes ordinaires ? Je dois le faire. Le cadre programmatique est le même pour toutes les classes, dispositifs, établissements, etc. Est-ce que j’y arrive ? Le temps manque car on passe beaucoup de temps sur une notion ou sur une activité. Des activités de systématisation sont très utiles si elles sont faites quotidiennement. Mais le temps est compté et il faut faire des arbitrages. Je n’ai pas de solution.

En ULIS collège, nous accueillons des élèves qui lisent avec difficultés, plus rarement qui lisent couramment et d’autres qui sont apprentis lecteurs. Ce sont des adolescents et la question des types d’écrits à leur proposer n’est pas facile. À mon arrivée au collège, il y a plus de dix ans, j’utilisais des contes de Grimm que les élèves réécrivaient avec leurs mots à eux. Le contenu les fascinait, ça marchait bien. Et puis, j’ai découvert les (petits) romans des éditions Thierry Magnier. C’est très bien écrit et sur des thèmes qui touchent les ados. A part ça, on lit tout ce qui passe !

Bien à toi.

Alexis

A propos de l'auteur ou de l'autrice

A compléter par une courte biographie d’Alexis GERARD, coordonateur d’ULIS