Le constructivisme est une théorie de l’apprentissage développée par Piaget dès 1923. Elle s’oppose au behaviorisme, autre théorie basée sur l’analyse du comportement observable déterminé par l’environnement et les interactions de l’individu avec son milieu (association stimulus –réponse), interactions que l’on retrouve dans la théorie socioconstructiviste. La théorie constructiviste, elle, met en avant la capacité de chaque sujet à appréhender la réalité, supposant que l’apprentissage n’est pas une « copie » de la réalité, mais une reconstruction de celle-ci. Le constructivisme s’attache donc à étudier les mécanismes et processus de cette reconstruction. Ainsi, les apprentissages se basent-ils sur le vécu et les expériences de l’apprenant, il prend en compte ses représentations. Le sujet restructure donc ses propres concepts en interne, à travers ses expériences (phénomène de restructuration conceptuelle).
Les thèses structuralistes de Piaget font appel aux processus d’accommodation (qui permet une transformation des activités cognitives afin de s’adapter aux nouvelles situations.) et d’assimilation (qui permet d’assimiler les nouvelles connaissances à celles déjà en place dans les structures cognitives et le processus d’accommodation) pour justifier sa thèse centrale : toute connaissance est le résultat d’une expérience individuelle d’apprentissage. (Labédie & Amossé, 2001)
Mais le constructivisme a d’abord des racines épistémologiques, notamment dans des positions philosophiques sur la nature de l’objet à appréhender.
Le constructivisme s’articule autour de deux réalités :
« Apprendre, c’est abandonner une représentation pour en adopter une autre plus prometteuse. » (Fourez, 1992 : 28)
Le constructivisme se base sur le fait que la connaissance est bâtie autour d’expériences, d’abstractions construites pour créer un monde plus ou moins régulier et prévisible. L’apprentissage s’effectue donc seulement si les connaissances antérieures échouent à conduire au but visé ; l’échec force l’accommodation et donc la déconstruction et la reconstruction du monde. C’est ainsi que les connaissances qui jusque-là ont fait preuve de viabilité sont remisent en question ; sans cet échec, elles persistent. Le développement de nouvelles connaissances nécessite donc une altération des connaissances antérieures.
D’après Astolfi, la compréhension ne peut s’opérer sans une participation active de l’apprenant et ne se transmet pas. On peut donc s’interroger quant à la place de l’enseignant dans ce modèle.
Ce dernier garde une fonction centrale au cours de l’apprentissage ; il orchestre ces apprentissages dans le cadre d’un modèle didactique où l’élève devient le centre organisateur de son savoir. (Brousseau & Vazquez-Abad, 2003)
D’autre part, l’apprentissage ne remplit pas un vide ; il s’appuie sur les représentations des élèves. Le rôle de l’enseignant est donc de connaître et de prendre en compte ces conceptions déjà élaborées par les élèves dans ses situations pédagogiques. Il conçoit des activités dans lesquelles les élèves confronteront leurs représentations (conflit cognitif) pour mieux permettre la déconstruction et la reconstruction des connaissances.
Les théories de Piaget sont à l’origine du développement des pédagogies dites « actives » et ont porté l’attention sur la programmation des apprentissages en fonction du développement de l’enfant. Néanmoins, elles négligent les conditions de transmission des contenus et par conséquent le rôle de l’adulte, l’apprentissage étant considéré comme essentiellement déterminé par le développement propre du sujet.
Synthèse des trois constructivismes, Astolfi, 2008, La saveur des savoirs, disciplines et plaisir d’apprendre (p. 131), Ed. ESF Editeur
Constructivisme épistémologique
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Constructivisme psychologique
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Constructivisme pédagogique
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Les savoirs ne sont pas des choses qui s’empilent. | L’élève n’est pas une page blanche. | L’enseignement ne relève pas de la simple transmission. |
Les contenus n’énumèrent pas des faits, mais proposent des réponses à des questions théoriques.
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L’apprentissage ne s’opère ni par copie, ni par addition, ni par dressage, mais requiert l’activité autonome d’un sujet. | l’enseignement ne déroule pas le film de la connaissance devant l’élève, mais suppose des dispositifs didactiques. |
Les savoirs résultent d’un effort de construction épistémique, social et culturel. | Apprendre nécessite une construction active de la part du sujet, dans un contexte social. | Enseigner nécessite une ingénierie didactique cohérente avec les objectifs visés et les obstacles à franchir. |
Ici, c’est le savoir qui est construit. | Ici, c’est l’élève qui doit construire son savoir. | Ici, c’est l’enseignant qui doit construire des situations. |
Antonyme : empirisme et positivisme. | antonyme : béhaviorisme. | antonyme : dogmatisme. |
Ce conflit cognitif se heurte à des difficultés à différents niveaux :
D’autre part, Piaget ne prend pas du tout en compte le milieu dans lequel évolue l’individu.
L’élève apprend donc seul et personne ne peut le faire à sa place. Cependant, on imagine qu’il peut difficilement trouver seul toutes les données nécessaires à tout changement de conceptions. Le rôle de l’enseignant est donc primordial, malgré le fait que Piaget ne s’y intéresse pas : c’est lui qui propose et met en place une pédagogie pour permettre aux élèves de construire et intégrer les nouveaux savoirs. (Astolfi, 1989)
Lev Vygotsky, psychologue biélorusse du début du 20ème siècle, s’inspirera du travail de Piaget tout en mettant en lumière certaines insuffisances de sa théorie.
Ainsi, là où Piaget définit l’acquisition comme une construction, Vygotsky met en avant l’importance de la signification sociale de l’objet. Le sujet, seul face au monde, pourrait ne rien apprendre. L’acquisition des savoirs relève donc, selon lui, de l’appropriation.
Vygotsky recentre également l’importance du langage dans le développement de la connaissance, pour lui, le rôle du langage est crucial dans le développement du savoir, tandis que Piaget le qualifie de secondaire.
Un autre aspect contraire à la théorie de Piaget – qui fait précéder le développement à l’apprentissage (construction mentaliste) – est développé dans les travaux de Vygotsky. Pour le psychologue, c’est l’apprentissage qui pilote le développement.
Il distingue ainsi deux situations : celle où l’apprenant accomplit seul certaines activités et celle où il peut apprendre avec l’appui d’un autre. Cette dernière situation détermine sa capacité potentielle de développement.
Entre ces deux situations se situe la « Zone Proximale de Développement » dans laquelle l’individu peut progresser grâce à l’appui de l’autre.
Enfin, les deux théoriciens divergent dans la définition de leur pédagogie. Tandis que Piaget prône une pédagogie de la découverte, basée sur le fait que l’enfant fait des expériences, en tire des résultats et les traite de façon intéressante, Vygotsky prône, de son côté, la pédagogie de la médiation. Le médiateur intervient entre l’enfant et son environnement ; autrement dit, l’enfant ne peut pas tout redécouvrir lui-même.
Principes Piagétien du progrès cognitif, (Depover, De Lièvre, Quintin, Porco, & Floquet, 2006) (Overmann, 2013)
Jérôme Bruner, psychologue constructiviste américain du 20ème siècle expose une théorie basée sur les deux principes suivants :
L’individu construit donc individuellement du sens en apprenant. Il choisit et transforme l’information émet des hypothèses et prend des décisions selon la structure de ses schémas mentaux. Cette structure l’aide à donner du sens aux nouvelles informations et lui procure des points de repères pour les organiser et aller au-delà.
Plus tard, Bruner inclut également l’aspect social à sa théorie à travers trois concepts.
– La construction de la signification :
Pour l’auteur, notre façon de vivre, culturellement adaptée, dépend des significations, des concepts et des modes de discours que nous partageons avec les autres et qui nous permettent de négocier les différences qui peuvent apparaître dans les significations et les interprétations. La psychologie populaire donne la capacité aux gens d’organiser une vision d’eux-mêmes, des autres et du monde : elle est à la fois le fondement de la signification personnelle et de la cohésion d’une culture.
– La construction de ce qu’il nomme « le self »
« Notre capacité à nous retourner vers le passé et à modifier le présent à la lumière du passé, ou le passé à la lumière du présent » (Bruner). Le self n’est pas intuitivement évident, c’est une construction qui procède autant de l’intérieur – de la mémoire, des sentiments, des croyances, de la subjectivité – que de l’extérieur – de l’estime que les autres nous portent, des attentes que nous reconnaissons très tôt dans nos différents contextes de vie, et de notre culture
Le self ne peut être indépendant de cette existence conjointe dont on peut dire qu’elle est historique, contextuelle et culturelle.
– La fonction du récit autobiographique
C’est un outil pour fabriquer de la signification, qui domine l’essentiel de notre vie au sein d’une culture. Nous pouvons par le récit que nous en faisons, conceptualiser le passé et par notre capacité à trouver des alternatives, fabriquer d’autres manières d’être, d’agir ou de lutter. Les façons de parler de soi évoluent avec le temps personnel, c’est-à-dire avec l’âge et la succession des contextes significatifs, et avec le temps social, c’est-à-dire avec l’évolution des formes narratives.
Cette théorie apporte une dimension sociale au constructivisme de Piaget. La construction du savoir, bien que personnelle, s’effectue dans un cadre social et elle provient à la fois de ce que l’on pense et des interactions avec les autres.
Certains psychopédagogues préconisent d’inscrire les apprentissages dans des situations les plus réalistes possible.
Encore une fois, Vygotsky s’éloigne de la théorie piagétienne en prétendant que les interactions sociales sont primordiales dans l’apprentissage ; c’est dans cette optique que trouve sa place le concept de ZPD.
Les travaux de Willem Doise et Gabriel Mugny prolongent les recherches des deux théoriciens en présentant les interactions entre pairs comme source de développement cognitif. Mais pour cela, ces interactions doivent provoquer un conflit sociocognitif ; c’est-à-dire, qu’elles doivent introduire la confrontation de deux conceptions divergentes. C’est dans cette démarche que l’apprenant prend conscience de sa pensée par rapport à celle des autres. Il est donc amené à remettre en question ses propres conceptions, mais également celle des autres pour construire un nouveau savoir. L’apprenant développe alors sa capacité à analyser ses propres modes de pensée et son propre fonctionnement intellectuel et ainsi, à réguler ses processus de pensée. (métacognition)
On peut résumer les travaux de Doise et Mugny selon les six principes suivants :
Apports des interactions sociales au modèle constructiviste, (Depover, De Lièvre, Quintin, Porco, & Floquet, 2006)
Concrètement, le modèle socioconstructiviste peut se décliner en différents modes de travail. En voici un, basé sur la coopération entre pairs, inspiré du modèle Jigsaw II ou classe puzzle d’Elliot Aronson.
La classe, comptant 24 élèves est répartie en groupes de 4.
Chaque élève de chaque équipe reçoit une lettre de A à D. Ainsi, l’élève A de l’équipe 1 est appelé A1, l’élève B, B1, etc.
Le groupe est ensuite éclaté pour constituer des groupes d’experts : A1, A2, A3, A4, etc. puis B1, B2, B3, B4, etc. Les nouveaux groupes ainsi constitués vont alors travailler sur un document en particulier et en tirer des informations, des connaissances, un savoir.
Chaque élève a la possibilité de disposer d’un temps de réflexion pour synthétiser ce qu’il a appris.
Chaque élève va devoir transmettre les connaissances qu’il a « expertisées » en étudiant son document à l’ensemble des élèves de son groupe initial (équipe 1 par exemple). A1, B1, C1, D1 se regroupent donc pour mutualiser les savoirs acquis séparément. Chacun devient alors à la fois maître et élève. Il doit être capable de partager ce qu’il a appris et de recevoir ce que les autres ont appris : le savoir est co-construit par l’ensemble des élèves.
L’enseignant n’intervient, pour l’instant, qu’en amont de la séance, lors de la préparation des documents qu’il propose à ses élèves.
L’évaluation porte pour tous les élèves sur l’ensemble des documents, dont les élèves vont devoir faire une synthèse, répondre à des questions, construire un tableau…
Un débat, une discussion est mise en place entre l’enseignant et les élèves autour des réponses et des solutions proposées.
Aronson, E. (1978). The Jigsaw Classroom. Beverly Hills: Sage.
Depover, C., De Lièvre, B., Quintin, J.-J., Porco, F., & Floquet, C. (s.d.). Les modèles d’enseignement et d’apprentissage. Récupéré sur UTE: http://ute.umh.ac.be/dutice/uv6a/
Dumora, B., & Boy, T. (2011, Septembre 15). Les perspectives constructionnistes de l’identité (1ère partie). Consulté le Décembre 13, 2014, sur L’orientation scolaire et professionnelle: http://osp.revues.org/1722
Kozanitis, A. (2005, Septembre). Les principaux courants théoriques de l’enseignement et de l’apprentissage : un point de vue historique. Bureau d’appui pédagogique – École Polytechnique.
Mugny, W. D. (1981). Le développement social de l’intelligence. Paris: InterEditions.
Piaget, J. (1975). L’équilibration des structures cognitives. Paris: PUF.
Reuter, Y., Cohen-Azria, C., Daunay, B., Delcambe-Derville, I., & Lahanier-Reuter, D. (2007). Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques. Bruxelles: De Boeck.
Vygotsky, L. (1978). Readings on the Development of Children. Dans L. Vygotsky, Mind in Society (pp. 79-91). Cambridge: Harvard University Press.
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